Aleksandr Avagyan Menu

À un premier regard le travail d’Aleksandr Avagyan pourrait apparaitre comme un pur héritage formaliste de l’application de la tache de couleur sur le support dans son mode le plus simple : une étendue de pigment de forme aléatoire qui s’articule avec d’autres taches de couleur sur une même surface plane ou en relief, qui ne fait rien d’autre qu’afficher ses propriétés physiques le plus élémentaires.

En regardant plus attentivement les titres sur les cartels des séries d’Aleksandr Avagyan, on remarque a contrario des détails qui viennent subrepticement saboter le concept « d’autonomie » de l’œuvre revendiqué historiquement par l’art abstrait. La peinture s’émancipe progressivement de tout élément mimétique dans la composition de la nature. Les taches de couleur se répandent en aplat et sont entrecoupées par de petits rectangles colorés venant s’y nicher, comme des sortes de corps solides résiduels qui se distinguent encore de la matière picturale brute. Le titre, Zone N, renvoie à la notion de zone dans son sens inéluctablement politique.


La démultiplication de ces zones paysagères en cours de dissolution est une tentative toujours réitérée de préserver la mémoire d’un périmètre symboliquement chargé et qui risque à tout moment d’être anéanti. En un certain sens les peintures d’Aleksandr Avagyan sont la version politiquement inquiète de l’abstraction formaliste du XXe siècle.

D’autre part l’artiste applique ses taches de couleur sur différents supports comme des emballages trouvés, de plaquettes de métal dérobées dans des lieux d’art ou des tasseaux de bois. Les œuvres comportent toujours dans le cartel la provenance du support, ainsi le support n’est jamais neutre. L’artiste explicite la politique d’appropriation à l’origine de son geste pictural. Cette dernière en passe par le vol, le don et la trouvaille. Le geste pictural devient ainsi une tentative de cohabitation, de réhabilitation, de confrontation de ou avec ce qui est autre.

Par ailleurs, les tasseaux de bois animés par les tâches de couleur et posés sériellement contre une cimaise jouent une fonction architectonique de soutènement des murs de l’exposition. Ainsi ces tiges qui pourtant paraissent si légères et aériennes sont, simultanément aux paysages de l’artiste, symptomatiques d’une même inquiétude politique dans le rapport au lieu.


Le travail d’Aleksandr Avagyan, s’il se nourrit bien sûr de tout l’héritage formaliste de la peinture dite abstraite, il en refuse le caractère sublime, idéale et déterritorialisé, par une interrogation de la nature politique et donc fragile, fragile parce que politique, du périmètre donné à l’intérieur duquel l’art est possible.


Extrait du texte L’inquètude en peinture de Félix Giloux, critique d’art.